Depuis le 4 juin 2025, la France connaît une situation inédite : trois des sites pour adultes les plus consultés du pays sont désormais inaccessibles aux internautes français.
- Pornhub
- YouPorn
- RedTube
Cette fermeture, loin d’être un simple incident technique, est l’aboutissement d’un bras de fer législatif et politique autour de la protection des mineurs et de la vie privée en ligne. Les sociétés qui commercialisent des outils permettant de changer son adresse IP disent connaître un engouement inédit depuis mercredi 4 juin.
La loi française : la SREN et la protection des mineurs face à des sites comme Pornhub, YouPorn ou RedTube
La loi du 21 mai 2024, dite loi SREN (Sécurisation et Régulation de l’Espace Numérique), a profondément renforcé l’arsenal français contre l’accès des mineurs à la pornographie en ligne.
Elle confie à l’Arcom (Autorité de Régulation de la Communication Audiovisuelle et Numérique) le rôle de « gendarme du web X », avec des pouvoirs accrus pour imposer un contrôle d’âge strict à tous les sites pornographiques accessibles depuis la France, qu’ils soient hébergés dans l’UE ou ailleurs.
Depuis le 11 janvier 2025, tous les sites pour adultes doivent mettre en place un dispositif de vérification de l’âge conforme à un référentiel technique validé par la CNIL (Commission Nationale de l'Informatique et des Libertés).
Ce dispositif impose une authentification anonyme à double facteur, interdisant l’accès tant que la majorité de l’utilisateur n’est pas prouvée. Les contrevenants s’exposent à des sanctions, voire à un blocage pur et simple de leur accès depuis la France.
Le bras de fer avec les géants du streaming pour adultes
Face à cette obligation, le groupe Aylo (ex-MindGeek), qui détient Pornhub, YouPorn et RedTube, a refusé de se conformer aux exigences françaises.
Selon Aylo, aucun système de vérification d’âge n’a jamais été testé à une telle échelle, et de telles mesures font peser des risques massifs de piratage et de fuite de données personnelles sur les utilisateurs.
L’entreprise défend une approche « privacy by default » et propose une alternative : une vérification d’âge au niveau de l’appareil, jugée plus respectueuse du RGPD.
Aylo a donc choisi de suspendre l’accès à ses plateformes pour tous les internautes français, y compris les majeurs, dénonçant une atteinte à la vie privée et à la liberté d’accès à l’information.
Sur la page d’accueil des sites bloqués, un message accuse la France de « mettre en danger la vie privée de tout le monde » et affirme que :
"la liberté n’a pas de bouton off "
Les options proposées par les différentes parties
Face à cette situation, les différentes parties impliquées proposent des approches contrastées.
Le gouvernement français
Voici les principales techniques de vérification d’âge sur lesquelles l’État français souhaite s’appuyer pour l’accès aux sites de streaming, conformément au référentiel technique validé par l’Arcom et la CNIL :
- Vérification par pièce d’identité : L’utilisateur doit soumettre une photographie ou un scan de sa carte d’identité, passeport ou autre document officiel. Cette méthode est traitée par un prestataire tiers indépendant du site, garantissant que ce dernier ne reçoit que la confirmation de majorité.
- Reconnaissance ou analyse faciale : L’utilisateur réalise une vidéo ou un selfie de son visage. Un système d’intelligence artificielle estime alors l’âge à partir de l’image, en s’appuyant sur des techniques de biométrie faciale robustes pour éviter les fraudes (deepfakes, usurpation d’identité).
- Portefeuille d’identité numérique : L’utilisateur présente une preuve de majorité issue d’un portefeuille d’identité numérique certifié, qui atteste de son âge sans révéler son identité complète.
Le groupe Aylo
Aylo refuse d’appliquer la solution imposée, invoquant la sécurité et la vie privée, et propose une vérification au niveau de l’appareil plutôt qu’au niveau du site web.
- vérification d’âge au niveau de l’appareil : selon ses dirigeants, des acteurs comme Google, Apple ou Microsoft disposent déjà des moyens techniques pour vérifier l’âge d’un utilisateur sur son appareil et transmettre uniquement une information de majorité (oui/non) à tout site ou application qui en fait la demande, sans jamais partager d’autres données personnelles.
Les internautes
Les sept millions de visiteurs quotidiens de ces sites n’ont pas disparu du jour au lendemain. Face à la fermeture, beaucoup se sont tournés vers des alternatives :
- sites concurrents moins connus
- plateformes sociales tolérantes envers les contenus pour adultes (X)
- l’utilisation de VPN pour contourner le blocage.
L’explosion de l’usage des VPN
Le blocage de ces différents site a provoqué en France une véritable ruée vers l'ouest vers les VPN (Virtual Private Network) :
- Proton VPN a enregistré une hausse de 1 000 % des abonnements en seulement 30 minutes après le blocage, un record supérieur à celui observé lors du bannissement de TikTok aux États-Unis.
- La demande globale de VPN en France a bondi de 334 % le 4 juin 2025 par rapport à la moyenne des 28 jours précédents.
- Les recherches du mot « VPN » sur Google Trends ont explosé, avec des marques comme NordVPN en tête des requêtes.
Sécurité des données : entre inquiétudes et garanties
L'une des principales objections à la mise en place de dispositifs de vérification d’âge repose sur la crainte d’une fuite de données sensibles. Une crainte nourrie par plusieurs incidents récents :
- En 2024, France Travail (ex-Pôle emploi) a vu les données personnelles de plusieurs millions de demandeurs d’emploi compromises ;
- En 2022, ce sont des organismes de santé comme des mutuelles ou l’hôpital de Corbeil-Essonnes qui ont été victimes de cyberattaques ayant entraîné la publication de dossiers médicaux.
Ces événements rappellent que même des entités réputées sérieuses peuvent être vulnérables.
Toutefois, le dispositif français n’impose pas que les sites eux-mêmes collectent ou conservent ces données. L’Arcom et la CNIL exigent l’utilisation de prestataires tiers certifiés, dont le rôle est uniquement de confirmer la majorité de l’utilisateur, sans transmettre son identité au site consulté. Ce mécanisme vise à concilier protection de la jeunesse et respect de la vie privée, tout en s’inscrivant dans une logique de minimisation des données, conforme aux exigences du RGPD.
Conclusion
Le blocage de Pornhub, YouPorn et RedTube en France illustre la difficulté de réguler l’accès à la pornographie à l’ère numérique.
Si le gouvernement se félicite d’une victoire pour la protection des mineurs, l’efficacité réelle de la mesure est questionnée : le trafic ne disparaît pas, il se déplace, notamment grâce à l’explosion de l’usage des VPN.
Ce bras de fer met en lumière les tensions entre protection de la jeunesse, respect de la vie privée et liberté d’accès à Internet.
Le débat entre sécurité, liberté et respect de la vie privée demeure entier – et sans doute durable.